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Description
À l'heure où les injonctions au bonheur et à l'épanouissement personnel s'étendent jusque dans la sphère professionnelle, certains emplois au sein des cadres et professions intellectuelles supérieures se voient attribuer l'étiquette de “bullshit jobs” (Graeber, 2018). En cause : leur inutilité supposée, dans un contexte où la perte de sens au travail tend à être envisagée dans un registre pathologique (le brown-out s'ajoutant au burn-out et au bore-out). En parallèle, des cas de reconversions atypiques, notamment dans l'artisanat, ont été de plus en plus mis en lumière dans la sphère médiatique, tandis que des essais louant les vertus du travail artisanal (Crawford, 2010 ; Sennett, 2010 ; Lochmann, 2019) alimentaient sa requalification symbolique. Dans ce contexte, la notion de “sens du travail” est très souvent mobilisée, sans qu'il soit pour autant facile d'identifier précisément ce qu'elle recouvre, dans quelles conditions elle s'applique, et à quels métiers.
S'appuyant sur des entretiens menés auprès de travailleurs qualifiés (bac+5) reconvertis dans l'artisanat de bouche et du bâtiment, cette communication visera à souligner en quoi de telles reconversions artisanales, régulièrement présentées comme motivées par une quête de "sens" et d'épanouissement personnel, est moins liée à des caractéristiques objectives des métiers d'arrivée qu'à la position sociale, le rapport au travail, les valeurs, dispositions et ressources des reconvertis. L'engagement dans le nouveau métier s'appuie alors sur des registres où les émotions (et notamment du plaisir à travailler) et la passion pour son travail (qui doit être épanouissant et pas simplement un moyen d'obtenir un revenu) sont structurantes. Il s'agit ainsi d'interroger les affects, constitutifs de la vérité subjective du travail des reconvertis, pour comprendre comment ces travailleurs des classes moyennes-supérieures s'approprient un métier artisanal et valorisent leur activité professionnelle.